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Ni plume Ni poil

 
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Coconut
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MessagePosté le: Lun 21 Oct - 20:50 (2013)    Sujet du message: Ni plume Ni poil Répondre en citant

Ma tête est enfoncée dans quelque chose de moelleux. Qu’est ce que c’est ? C’est agréable ! On me caresse le pied, mais j’ai froid.
J’ouvre les yeux. La lumière du soleil m’éblouit.
Je me redresse hâtivement, surprise de l’endroit où je me trouve : il m’est familier, mais pourtant, une impression contraire m’amène à penser que je ne suis jamais venue ici.
Mes pieds trempent dans une grande étendue d’eau, le mot se fraye un chemin dans mon esprit : un lac. Tout autour, il y a des grands pins. Je me laisse envahir par l’odeur sucrée de leur sève – ou du moins je crois que cela s’appelle comme ça – puis je lève la tête : des tâches blanches ponctuent le ciel bleu.
Swan.
Cela veut dire cygne, c’est le nom de ces animaux volants. Je le dis à voix haute. Je suis sûre que c’est aussi le mien.






Les cygnes s’éloignent, je me lève doucement, mais retombe aussitôt, apeurée par le bruit des fourrés : ils bougent. Un petit lapin en sort tout à coup et se dirige vers moi :

« -Bonjour, tu es perdue ? En tout cas, tu en as l’air, fait-il.
- Eh bien… C’est-à-dire que… »
Je me rends compte que je n’ai aucune idée de ce que je fais là, et le petit animal brun aux poils soyeux continue à me regarder avec son air interrogateur… Il est tellement mignon que je n’ai qu’une envie : c’est de le prendre dans mes bras pour le cajoler, et c’est ce que je fais.
« -Lâche-moi tout de suite, hurle t-il alors en se débattant violemment, j’ai du travail moi !
-Ah oui ? Et quel travail peux-tu faire avec tes petites pattes ?
- Je suis RA-MAN-CHEUR ! C’est-à-dire une sorte de médecin qui fait divers massages musculaires à tous les animaux d’ici, m’explique t-il, actuellement, je suis à la recherche de plantes médicinales, tu veux m’aider ? En tout cas, tu ne devrais pas rester ici toute seule, et je peux m’occuper de toi. »
Alors que je m’apprête à le suivre, je m’arrête net : je viens de voir mon reflet dans l’eau, et de prendre conscience de ma nudité par la même occasion. Je commence à ramasser les plumes blanches égarées par les cygnes pour m’en faire une robe.
« - Que fais-tu, malheureuse ? Repose ces plumes tout de suite, ça apporte plein de maladies, vocifère le lapin, quoique… tu es déjà atteinte.
- Atteinte ? Et de quoi ? Fais-je à l’animal qui commence sérieusement à me gambader sur les nerfs…
- Tu étais un animal avant, mais l’épidémie qui sévit ici t’as contaminée, et tu t’es transformée en ce que nous appelons les humains. Ce ne sont pas vraiment des animaux tu vois, tu n’as ni plume, ni poil, et même pas de griffes ou de bec… Bref, la perte de la mémoire est un des symptômes, alors ne t’inquiète pas de ce qui t’arrive, reprend t-il, et d’ailleurs, tes souvenirs reviendront sûrement parce qu’à partir de maintenant je suis là pour t’aider. Tu seras mon nouveau cas à long terme.
- Je ne suis pas sûre de comprendre tout ce que tu dis, mais je te fais confiance, et puis au moins je sais un peu plus de choses sur moi. Mais j’ai quand même besoin de me vêtir. »
Je me remets donc à ramasser des plumes, les assemblant à l’aide de lianes, et enfile enfin la robe ainsi constituée. Soudain, je me rappelle.
« - Au fait, quel est ton nom ?
- Un nom, qu’est ce que c’est ? Me demande mon protecteur.
- Eh bien… C’est ce que les gens utilisent pour t’appeler quand ils ont besoin de toi.
- Personne ne m’appelle, mon instinct m’indique automatiquement si mes amis ont besoin d’aide, m’explique t-il.
- Je vois…Mais… Je sens que j’en ai besoin… Je peux t’appeler Peter ?
- Bien sûr, approuve Peter, si c’est indispensable pour toi, n’oublie pas que tu es ma patiente, je dois tout faire pour que tu ailles mieux. »
Alors que nous nous mettons enfin en route, il remue le museau, puis me jette un coup d’œil, et penche la tête. Je le trouve très amusant, et je crois que s’il se comporte de cette manière, c’est pour m’indiquer que les plantes que nous cherchons ne se trouvent pas très loin. Et puis, tout d’un coup, il détale, comme ça, sans que j’aie le temps de réagir. Résultat : je me retrouve toute seule, à attendre. Mais la patience n’est pas une de mes qualités, et puis il me retrouvera grâce à son flair, je décide donc de continuer à progresser. Au bout d’un moment, les conifères s’écartent devant moi, laissant place à une grande plaine d’herbe bien verte m’arrivant au menton, et s’étendant jusqu’à l’horizon.




Je reste pétrifiée face à cette immensité de verdure, muette. Quelque chose m’ordonne d’avancer, mais je sens qu’il y a comme une force contraire, qui me tire vers l’arrière. J’ai beau lutter, je ne bouge pas.

« -Hey, mais qu’est ce que tu fais ?! »
Je me retourne lentement : revoilà Peter. Sa présence me rassure, je me rapproche de lui, les forces ont disparu, nous sommes tous les deux.
« - Il ne faut pas t’approcher de ce champ, tu sais, me dit-il, tous les animaux qui sont entrés dedans ont disparu.
- D’accord, je ferai attention, promis.
- J’ai trouvé ce que je cherchais dans la forêt boréale, nous pouvons maintenant nous rendre dans les montagnes pour soigner les ours qui les peuplent.
- Mais... Ce champ ?
- Il fait le tour de tout notre pays, c’est la limite à ne pas franchir, aller, viens ! »



Après avoir guéri les ours, nous redescendons doucement la montagne, Peter devant, s’assurant que je ne tombe pas, et m’apprenant tout ce qu’il sait sur la région.

« - Le climat alpin est froid et sec ici, c’est pour cela qu’il est parfois difficile à supporter pour les bébés ours dont les parents sont touchés par la maladie, car ils ne peuvent par conséquent pas faire leurs provisions d’hiver, et leurs défenses en sont diminuées face aux basses températures. Il arrive donc que je doive leur amener de la nourriture pour qu’ils survivent, me raconte Peter, parfois pendant plusieurs jours en la portant avec mes « petites pattes » toutes gelées. »
Je suis impressionnée par sa générosité. En fait, c’est dans sa nature de vouloir bien faire pour tout le monde, c’est le genre de personne sur qui on aurait tendance à s’appuyer naturellement...
« - Tu leur amènes quoi aux bébés ours ? Tu tues des animaux pour les nourrir ?
- Non ! Ce serait horrible ! Je leur amène des baies et du miel enfin ! Tu as contracté une forme de maladie très avancée, tu ne te souviens même plus de notre régime alimentaire ! Qu’en est-il du régime politique ?
- Hum...
- Écoute-moi bien, chaque espèce d’animal a son chef, appelé le mâle dominant. En cas de crise grave, tous les mâles dominants de toutes les espèces se réunissent et décident ensemble de la procédure à suivre, ajoute Peter, ah, nous voilà dans la tourbière ! »
Nous arrivons dans une zone de boue et d’eau stagnante -c’est comme ça que Peter l’appelle- où il fait doux, mais humide. Des mélèzes, de l’épinette noire, de la mousse, voilà la seule végétation que l’on trouve ici -toujours selon les leçons de Peter. Nous marchons à grandes enjambées le long de l’eau, puis nous nous asseyons. Mon compagnon sort alors des fougères de son sac, et me les tend.
« - Tu en veux ? M’interroge t-il, puis, voyant que j’hésite, il insiste ; prends-les, il faut se nourrir ! »
Il en saisit une et la dévore sous mes yeux, puis me regarde avec un grand sourire. Je ne veux pas le décevoir après tout ce qu’il a fait pour moi, je prends donc à mon tour une de ces feuilles, la porte à ma bouche, mâche lentement, puis la recrache aussitôt :
« - C’est dégoûtant !
- Bizarre, tu ne devrais pas avoir perdu tes goûts d’animal , s’étonne Peter.
- En fin de compte, je me sens bien dans ce corps, et je n’aime pas la nourriture que tu m’as donnée, j’ai peut-être toujours été comme ça ! Euh... Je veux dire... Comme je suis... Aujourd’hui... »
La force qui me poussait à avancer vers le champ a refait surface et m’a poussé à dire cette phrase avec aisance. Hélas, cela n’a pas l’air de plaire à Peter...
« - Non, s’exclame t-il, c’est scientifiquement IM-PO-SSIBLE !
- D’accord, d’accord...
- Tu es fatiguée, c’est tout, nous allons passer la nuit ici. »
Mon ami s’énerve toujours quand il faut aborder la question de mon état, et c’est pareil dès que la petite voix en moi me donne des doutes, et que je lui en fais part.







"je prends donc à mon tour une de ces feuilles"



Est-ce que ce serait mieux de rester comme ça, sans savoir pourquoi je ne suis pas tout à fait comme les autres, même ceux qui sont touchés par la maladie ? J’ai de plus en plus l’impression que ce monde n’est pas le mien... Mais après tout, j’ai confiance en Peter, j’ai vraiment besoin de lui, il me dit ce qu’il faut que je fasse, on ne doit pas se séparer, et d’ailleurs, il est content de prendre soin de moi...
Je crois que je vais dormir.



Le lendemain, nous quittons la tourbière, et nous arrivons dans la « toundra ». Peter m’explique que c’est une zone dans laquelle le sol est toujours gelé, il n’y a apparemment que de la mousse et du lichen, nous devrons donc attendre demain pour revenir dans la forêt boréale et nous nourrir, puisque nous n’avons plus de fougères, et d’ailleurs, tant mieux, car je n’aime pas ça, quoi que puisse en dire mon ami.

Alors que nous évoluons dans ce décor, un bruit vient perturber le silence. Il se fait grandissant jusqu’à devenir une cacophonie insupportable. C’est là que nous les voyons : des dizaines d’animaux, renards, cerfs, écureuils, faons, loups, tous là, formant une ronde folle autour d’un arbre creux, planté là, gris, mort, dans la terre sèche et non fertile. Ils crient, sautent, dansent, il y a même un aigle en train de voler au-dessus ! J’ai envie de les rejoindre, d’oublier toutes les questions que je me pose, de me défouler. Je jette un coup d’œil à Peter. Il reste très calme, ne lève même pas un sourcil.
« - Qu’est ce que c’est ?
- Un charivari, me répond t-il placidement.
- Cha quoi ?
- C-H-A-R-I-V-A-R-I, épelle t-il. Lorsqu’un mariage n’est pas consenti par les voisins des mariés, ceux-ci vont faire du tapage autour de leur maison pour protester, ils montrent leur mécontentement, ajoute t-il.
- J’aime bien cette coutume.
- Ne prend pas tout ça à la légère, me reproche mon compagnon, ce n’est pas juste une occasion de s’amuser comme tu pourrais le croire. Hier, une chouette et un pivert se sont mariés, ce qui est considéré comme un affront chez nous car cela ne s’est jamais vu avant. En plus, ils le savaient, ils ont donc déménagé ici, au milieu de nulle part, rien que pour éviter les réactions de leurs voisins, mais ceux-ci sont venus exprès pour honorer la coutume.
- Je trouve ça étrange, pourquoi ne les laisse t-on pas tranquille ? Pourquoi toutes les coutumes doivent-elles être respectées, pourquoi les animaux n’ont-ils pas le droit de faire ce qu’ils veulent ? Le moindre petit détail qui change votre quotidien n’est-il donc pas accepté ? »
Je crois que j’en ai trop fait, mais la petite voix ne s’arrête plus, et finalement, elle se confond avec la mienne, elle est ce que j’ai toujours pensé, maintenant, je dis tout au lapin. Sa réaction dépasse tout ce que j’aurais pu imaginer. On dirait que je ne suis plus la pauvre petite malade, mais bien un grain de sable qui vient de se coincer dans les rouages de la belle horloge, comme ces deux époux.
« - Nous avons poursuivi la thérapie, ce n’est pas NOR-MAL, tu devrais avoir recouvré au moins une partie de tes souvenirs, et ce n’est pas « vous », mais « nous » que tu devrais employer comme nom, tu fais aussi partie de notre monde !
- Justement non, j’en suis sûre maintenant ! Je ne suis pas un animal, à l’origine je suis humaine, veux-tu bien m’écouter à la fin ?! »
Des larmes se mettent à couler le long de mes joues et viennent tomber sur les belles plumes de ma robe, qui ne m’appartiennent pas. Je ne suis pas un cygne. Je ne sais plus ce que je fais, je cours à en perdre haleine, sans vraiment savoir où je vais, le lapin à mes trousses. La petite voix me guide, et je l’écoute cette fois, je n’écoute plus qu’elle, même lorsque Peter me crie de m’arrêter. Il a beau être un lapin, j’arrive à le semer, portée par la réalité. Je vais rentrer à la maison, dans mon monde, il y aura des gens comme moi.


Au bord du champ, je m’arrête, me souvenant de l’avertissement de la seule personne que j’ai vraiment connue ici : « c’est la limite à ne pas franchir ». Peter va me manquer je suppose, mais après tout, son intérêt pour moi était purement scientifique... La force est de toute façon trop forte pour que je m’arrête. Il n’y a plus qu’elle.



Je pose un pied sur la plaine. Rien ne se produit. Je marche, accélère de plus en plus le pas, toujours rien. Je suis humaine, c’est le passage vers mon monde, c’est par celui-là que je suis arrivée ici, et c’est aussi par celui-là que je vais repartir, je le sais.

Je cours maintenant, plus rien ne m’arrête, le vent fait voler mes cheveux derrière moi, ils sont libres, et je le serai aussi bientôt. L’herbe me fouette le visage, c’est à peine si je vois devant moi, je pleure, tout est flou, peu à peu les ombres s’effacent, un tourbillon de couleurs se forme et je suis en son centre. J’ai l’impression que je vais toucher le soleil, il a beau essayer de s’éloigner je vais plus vite que lui, je le rattrape, et plus la distance diminue entre nous, plus la voix est puissante, maintenant je sais qu’elle m’appelle, en fait c’est comme si la partie de moi-même qui me manquait était de l’autre côté, je vais retrouver mes souvenirs et la vie. Je croquerai dedans comme dans un fruit bien juteux, à pleines dents. J’y suis presque, les rayons de l’astre ardent m’aveuglent, il fait chaud, je me délecte. Je ferme un instant les yeux pour mieux sentir l’air chaud caresser ma peau. Soudain, un doute m’envahit, j’entends... J’entends Peter qui m’appelle... Je ne dois pas penser à lui, mais je n’arrive plus à ouvrir les yeux, son image fixée en moi m’en empêche. Je ne dois pas... Je tombe par terre.




Une humaine dort paisiblement près du lac. Sûrement une contaminée épuisée qui s’est évanouie. Ses pieds trempent dans l’eau sans que cela ait l’air de la gêner, mais le plus étrange, c’est que les cygnes semblent lui porter une attention particulière. Elle en était peut-être un avant. Je m’approche doucement. Bizarrement, elle n’a pas conservé son odeur animale... Et mon flair de rongeur ne me trompe jamais ! Mais qui est cette fille ? Je sens qu’elle a besoin de quelqu’un comme moi, mais je ne pense pas être l’animal qu’il lui faut. En plus, j’ai l’impression de la connaître, alors que je suis sûr de ne jamais l’avoir rencontrée ! Elle bouge, je crois qu’elle commence à reprendre conscience. Je vais me cacher dans un buisson, on ne sait pas ce qu’elle pourrait faire au réveil. Un visage apaisé peut parfois se révéler trompeur. J’essaye de me défaire de cette impression de déjà vu, de vécu, mais je n’y parviens toujours pas. C’est comme si nous nous étions déjà rencontrés, dans une autre vie...

Elle prononce un mot. Il serait inaudible pour n’importe qui d’autre, et ses lèvres n’ont presque pas bougé, mais pour moi, aucun doute. Cette simple parole me fait frissonner tellement elle est profonde, et elle a une véritable signification pour moi, mais je ne saurais dire laquelle.
Swan.

Coconut et 2 de ses amies.






***********************
"Le fait que tu sois paranoïaque ne signifie pas qu’ils ne sont pas après toi" (Kurt Cobain)


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